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Changement climatique La Suisse aussi cherche les clés pour s’adapter

Même au cœur des Alpes, le climat se réchauffe, et peut-être plus vite qu’ailleurs ! Les Suisses se posent donc également la question de la palette végétale la plus appropriée…

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La Suisse se réchauffe, à l’instar de tous les pays de la planète. Au point que l’on assiste à sa « méditerranéisation », a expliqué un météorologue­ chez MétéoSuisse, Olivier Duding, lors d’une journée technique sur « L’arbre et la cité, adaptation du végétal aux changements climatiques », proposée par Plante & Cité Suisse à Genève, il y a quelques mois.

Les Suisses ont ainsi des températures moins rigou­reuses, déjà + 2 °C depuis le début des relevés, en 1864, mais aussi des étés plus secs ces trois dernières années. Même si, dans le long terme, aucune « tendance claire ne se dessine concernant l’évolution du régime des pluies. Il y a toujours des alternances entre années sèches et humides. Les hivers semblent par contre plus arrosés, même si la neige devrait être moins présente ».

Surtout, selon lui, sans des mesures correctives, le climat du pays devrait voir ses températures progresser encore d’ici à 2060, avec des pluies plus rares mais plus intenses. Le lac Léman n’est pas encore tout à fait la grande bleue, mais s’en rapproche peu à peu. Au milieu du siècle, l’endroit pourrait avoir un climat proche de celui de l’Espagne ou de la Croatie ! Les précipitations pourraient faire ressembler à ce qui se passe aujourd’hui à Sotchi, en Russie. « Il serait intéressant de voir quels sont les arbres, là-bas », conseille le météorologue.

La végétalisation des toits ne compensera pas les abattages

René Longet, ancien élu du canton genevois, aujourd’hui président de la Commission consultative de la diversité biologique, est à ce titre chargé de donner un avis sur la faune et la flore. Pour lui, il y a aujourd’hui deux enjeux globaux : une exigence de viabilité des villes – sans végétaux, la température pourrait y devenir insupportable – et le soutien à la biodiversité, puisque nous vivons la « sixième extinction de masse ». Il estime que les « accords de Paris* sont loin, on n’agit pas ».

Il préconise la sanctuarisation de zones même en ville, de réfléchir à la manière de concilier la façon de bâtir, de gérer les terrains, de donner davantage de volume aux arbres, notamment pour leurs racines. Il faudra évidemment planter les bonnes essences au bon emplacement, mais surtout cesser de couper les arbres existants. « Renoncer à certains projets va devenir nécessaire. Je ne pense pas que végétaliser les toits compense les abattages », insiste celui qui défend une nouvelle orientation des cadastres, qui devraient tenir compte du sol, du sous-sol ainsi que des arbres, assurer que l’on laisse suffisamment de pleine terre pour planter. Il faudrait aussi que les autorisations de réaliser les chantiers prévoient la protection des arbres et des bocages…

«  Les affirmations politiques sont là, mais la progression urbaine fait chauffer les tronçonneuses !  » conclut-il.

« L’équité du vert va préoccuper les urbanistes dans le futur »

Yves Kazemi, inspecteur des forêts à la Direction générale de l’environnement du canton de Vaud, estime pour sa part que, dès lors que 80 % de la population suisse vit en ville, sur 3 % des surfaces, avec la présence­ inévitable d’îlots de chaleur, l’infrastructure verte a un rôle important à jouer. Elle doit être réinventée. Les noues pour collecter les eaux de pluie, les bacs de rétention d’eaux pluviales, les toits végétalisés ou les pots sur les immeubles, tout cela contribue à l’infrastructure verte, surtout si tout est mis en réseau. Lorsque cette infrastructure permet de gérer l’eau, par exemple, le coût de l’évacuation des pluies est réduit.

Les avantages de l’ombrage des arbres en ville sont aussi mis en exergue : le spécia­liste rappelle qu’il peut y avoir de gros écarts entre une surface bitumée et une surface engazonnée. Sans compter les bénéfices psychologiques, physiologiques, cognitifs, etc. « L’équité du vert va préoccuper les urbanistes dans le futur », conclut Yves Kazemi.

Comme dans nombre d’autres pays, la question de la forêt urbaine se pose aussi en Suisse, comme l’a expliqué Patrick Fauvy, directeur du service du paysage et des forêts de l’Office cantonal de l’agriculture et de la nature de Genève.

« Genève, c’est 45 % de surfaces agricoles, 13 % de lac, 12 % de forêt et 30 % de zones urbanisées », précise l’intervenant, qui explique que c’est dans ces trente derniers pourcent qu’il cherche à mettre de la forêt. Mais il faut en définir le rôle, comment en assurer l’évolution, comment en faire profiter la biodiversité... Le sujet soulève beaucoup de questions. Sans compter que de trop petits bosquets sont plutôt perçus comme des nuisances. Des bois urbains peuvent être installés sur des petites surfaces – 500 m2 peuvent suffire –, mais ces « forêts étroites » ont des besoins différents de ceux d’une forêt classique. Il importe de marquer le paysage, mais avant tout il faut définir leur utilité, leur destination, leur conservation, etc. Faut-il les réguler ou y autoriser un usage intensif ? Des échanges avec la population sont en cours et des actions avec les élèves des écoles sont menées pour les sensibiliser, le tout pour faire avancer la réflexion.

Les plantes à cycle reproductif lent seront pénalisées

Pascal Martin est adjoint scientifique au jardin botanique de Genève. Une entité qui gère des informations sur la flore sauvage, les milieux naturels et les espaces verts, et assure aussi un inventaire cantonal des arbres isolés. Pour le scientifique, « les plantes se sont toujours adaptées. Elles­ ont su faire face au chaud, au froid, au NOX**, aux métaux et même au CO: par le passé, le taux de ce gaz a parfois été plus élevé que maintenant, avec une biodiversité plus importante. Beaucoup d’études démontrent que les plantes ont la capacité de s’adapter, leur plasticité et leur capacité de migration étant déterminantes. Face à un changement, les végétaux ont trois alternatives : s’échapper, résister ou disparaître. En montagne, elles peuvent passer du versant sud au versant nord… Dans 214 sites observés dans les Alpes­, nous avons constaté qu’à 500 m d’altitude les plantes se sont déplacées de huit mètres ! Le départ de végétation a avancé de 2,8 jours tous les dix ans, un phénomène accentué en ville. Même des orchidées viennent s’installer en Suisse en remontant le Rhône. Tout va subir des modifications, mais selon la vitesse du changement les plantes ayant un cycle reproductif­ long comme les arbres seront pénalisées ! »

Martin Schlaepfer, coordinateur du réseau suisse GE 21, qui étudie les services écosystémiques de la biodiversité, a insisté sur la nécessité de diversifier le patrimoine arboré. Il cite la règle de Santamour, élaborée en 1990, qui spécifie qu’il faut éviter d’avoir dans ses plantations plus de 30 % d’individus d’une même famille, plus de 20 % du même genre et plus de 10 % de la même espèce si on veut limiter l’impact des nouveaux ravageurs ou du changement climatique. Il recommande pour Genève de planter Acer campestre, Alnus spaethii, Ginkgo biloba, Quercus cerris… De même que de diversifier la palette et de prendre soin de ces sujets. « Beaucoup d’espèces survivront si elles sont plantées dans de bonnes conditions ! »

Le choix de plantes autochtones ou non, la construction de davantage de logements pour tous sans empiéter sur la nature et la place des arbres, les problèmes de plantation dans des villes denses où les trottoirs sont encombrés de réseaux qui limitent l’espace disponible, le renouvellement ou le remplacement des essences lors de la réfection d’un alignement histo­rique de tilleuls ou de platanes... les questions qui ont conclu cette séance ont largement fait écho aux débats qui ont lieu en France. Le climat de la Suisse tend vers la méditerranéisation, comme le centre de la France. Des interrogations qui concernent également le reste de l’Europe. La présence du végétal tient une place essentielle au titre des réponses potentielles au défi climatique !

Pascal Fayolle

*L’accord de Paris sur le climat a été conclu le 12 décembre 2015, entré en vigueur depuis novembre­ 2016.

**Oxyde d’azote.

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